Une mairie monopolisée par les affaires courantes
27 septembre 2021
Quand un·e maire fait un mandat classique, il·elle porte sa propre vision politique et l’équipe municipale est à son service pour l’exécuter. Mais qu'en est-il des équipes où ce sont les 20 élu·es qui définissent collégialement la vision politique ? Comment s’assurer que la somme des projets conçus collectivement suive une vision cohérente ? Comment faire en sorte que le projet politique ait une cohérence globale sur le long terme ?
Pendant la campagne municipale en 2020, les équipes des listes participatives étaient mobilisées sur de grandes questions politiques (transition écologique, démocratique et sociale). Mais une fois à la mairie, ces habitant·e·s nouvellement élu·e·s se retrouvent happé·e·s par l’urgence de la gestion du court terme en délaissant, faute de temps, les vrais projets politiques pour lesquels ils ont été élus. Comment retrouver des espaces qui remobilisent l’équipe sur la réflexion d’une vision du long terme et sur de vrais projets politiques ? Et pour aller plus loin, comment mettre cette instance politique au cœur de l’équipe municipale, pour que ces réflexions du long terme animent tous les acteurs de la mairie et toutes les décisions qui y seront prises ?
Zoom sur Saint-Loubès, où l’équipe municipale en place redéfinit en janvier 2021 avec Fréquence Commune le fonctionnement de la mairie pour remettre au centre de son fonctionnement un organe qui permet d’animer une réflexion politique commune et d’ouvrir les grandes décisions à l’ensemble de l’équipe municipale.
I ) Comment fonctionne l’équipe municipale aujourd’hui ?
Description du schéma :
- Le bureau municipal est au centre. Il est l’organe des décisions exécutives.
- Les 12 commissions (ouvertes à l’opposition) sont autonomes dans leur prise de décision.
- Des groupes de travail (GT sur le schéma) sont rattachés aux 12 commissions (éducation, santé, déchets, mobilité, etc.)
Les points positifs de ce fonctionnement :
- Les groupes de travail ont un grand pouvoir d’autonomie, ils sont les moteurs de l’action municipale. C’est un succès en terme de partage du pouvoir et des délégations (ce ne sont pas trois personnes qui gèrent et décident de tout). Il n’y a pas de concentration du pouvoir, on sort d’un fonctionnement en petit groupe restreint.
Les points négatifs de ce fonctionnement :
- Le bureau et un certain nombre de commissions font les arbitrages mais il n’y a pas d’instance propre d’arbitrage. Mais surtout : il n’y a pas d’instance d’arbitrage sur les grandes décisions politiques. Les groupes de travail ne savent pas toujours à qui se référer pour arbitrer sur leurs projets : au bureau ou dans la commission ? C’est donc par défaut le bureau qui fait l’arbitrage, ce qui engendre des réunions de bureau interminables avec un ordre du jour surchargé, où les sujets politiques sont mélangés avec les sujets opérationnels. D’autant plus que la grande majorité des élu.e.s ont une activité professionnelle en parallèle de leur fonction à la mairie !
- Le Bureau est le centre de gravité de l’équipe municipale et mobilise la réflexion sur des sujets opérationnels, des affaires courantes et de court terme, par des projets sans grande portée politique. Ceux qui assistent aux réunions du bureau ont donc l’impression de perdre du temps car le niveau de détail est trop précis et les sujets peu politiques. La solution serait de déplacer le centre de gravité du bureau municipal vers une instance politique où l’équipe est mobilisée sur des sujets politiques.
- Le fait que l’endroit de la prise de décisions soit non défini laisse place à de nombreux lieux où naissent des prises de pouvoir. Effectivement, quand il n’y a pas de règle de fonctionnement précis, chacun invente les siennes.
- Chacun dans sa délégation fait ses propres arbitrages et les amène au bureau, ce qui fait qu’il existe un risque que les actions menées par la mairie ne soient pas coordonnées et cohérentes dans la vision politique d’ensemble car il n’existe pas d’instance qui crée une cohésion sur la ligne politique globale. Tous les élu·e·s préfèreraient être mobilisés pour être consultés et décider des questions concernant les lignes politiques globales, plutôt que sur des affaires courantes. Il n’y a donc pas de vision politique partagée et pas de ligne politique globale sur le programme à long terme et pas de feuille de route. Chacun est très autonome dans sa délégation et le bureau regarde individuellement les commission sans cohésion globale.
- L’opposition fait blocage dans les commissions, certains de ses membres se comportent plus comme un groupe d’opposants qu’un groupe de la minorité. Ils ne sont pas là dans une démarche coopérative et constructive mais plutôt pour anticiper et préparer des argumentaires, un plaidoyer d’opposition.
Après avoir fait un tour de parole sur les « + » et les « – » du fonctionnement municipal actuel, l’équipe de 20 élu·e·s présents à la formation se divisent en 5 groupes pour proposer des améliorations au fonctionnement municipal.
Après une heure de travail en groupe, deux proposeurs recueillent le travail des 5 groupes pour faire une proposition unique qui s’inspire des propositions d’amélioration des participant.e.s.
II) Proposition d’un nouveau schéma de fonctionnement municipal
Ce qui change :
Objectif du changement du schéma : mettre l’instance politique au centre pour ne pas monopoliser le travail en groupe complet par des discussions de l’ordre de l’exécutif ou avec peu d’intérêt politique (trottoirs, gestion du quotidien de la commune, etc). Car aujourd’hui les élu.e.s passent trop de temps en réunions de bureau municipal à informer les adjoints sur ce qui est fait ou à faire (questions exécutives).
- L’instance politique qui porte la vision politique est au centre. Elle est composée, non seulement des 20 élu.e.s majoritaires, mais aussi de tous ceux qui ont pris part à la campagne, candidats non élus et soutiens. Ainsi est recomposé le groupe qui a vécu la campagne et construit le projet présenté aux citoyens. Les élu.e.s seront donc désormais tous mobilisés sur les grandes questions d’orientation politique plutôt que sur des sujets de traitement opérationnel. L’instance politique est sollicitée par les référents thématiques qui font remonter des groupes de travail des questions qui nécessitent des discussions politiques du long terme pour demander plus largement l’avis du groupe d’élu.e.s sur des décisions importantes et qui viendrait avoir un impact sur la ligne politique générale. Le rôle de l’instance politique n’est pas le lieu de la prise de décision des affaires opérationnelles, mais des grandes décisions, elle est garante de la ligne politique.
- Le bureau municipal qui avant mobilisait tou.te.s les élu.e.s pour gérer un mélange d’opérationnel, de politique et d’affaires transversales se retrouve maintenant à gérer les affaires courantes et à exécuter les décisions de l’instance politique. Le conseil municipal et le bureau municipal ne sont utilisés que pour faire de l’organisationnel. Il n’est désormais composé que de la maire, des adjoint.e.s et des conseillèr.e.s délégué.e.s. Le quotidien peut se désormais se gérer avec le directeur général des services (DGS).
- Les groupes thématiques (anciennement « commissions ») sont composés d’un.e référent.e + d’un binôme d’un.e élu.e et d’un.e adjoint.e. Le.la référent.e thématique a une relation quotidienne avec le DGS. Quand un groupe thématique se réunit, il ne prend pas de décision car les décisions seront prises dans les groupes de travail ou commissions (décisions opérationnelles) et dans l’instance politique (décisions politiques).
- Les groupes de travail et les commissions (toujours moteurs de l’action municipale) peuvent être composés d’élu.e.s, d’agents et d’habitant.e.s. Ils peuvent être permanents ou se constituer par projet. C’est dans ces instances que sont prises les décisions d’ordre opérationnel. Si les projets des groupes de travail mobilisent des questions qui nécessitent une réflexion politique, cette question est amenée à être travaillée et décidée dans l’instance politique, par les 20 élu.e.s. Dans chaque groupe de travail ou commissions un.e non élu.e fait le lien entre le groupe thématique et l’instance politique.
Les nouvelles habitudes qu’il va falloir prendre :
- Les groupes de travail (GT) avaient l’habitude d’une grande autonomie. Il va maintenant falloir référer chaque prise de décision d’ordre politique à l’instance politique (composée des 20 élu.e.s majoritaires) afin de vérifier la cohérence avec la ligne politique globale.
- Certain.e.s élu.e.s risquent d’être déstabilisés par le fait de s’éloigner d’un fonctionnement municipal classique qui s’éloignerait de la légalité. C’est pourtant ainsi qu’on change les pratiques et les manières de faire : en poussant les murs. Par exemple : que se passe-t-il si on ne fait pas de commissions municipales ? Ou si on fait des conseils municipaux moins souvent car le conseil municipal est une instance très classique et délibérative où passent les délibérations les unes après les autres sans réelle qualité démocratique?
L’invitation est donc de prendre en main le politique pour qu’il dicte au technique et pas l’inverse. Il faut donc s’organiser politiquement pour ensuite dire comment on s’organise avec les services techniques.
III) Quel est le rôle de la maire dans une telle organisation ?
- La maire joue un rôle central de coordination générale : elle transmet l’information entre les différents groupes de travail, mais aussi des groupes thématiques vers le DGS. Les référent.e.s thématiques tiennent quotidiennement la maire au courant du travail des groupes de travail, elle continue donc à avoir une vision globale du travail de la mairie.
- Elle s’assure que les instances politiques, les groupes thématiques et les groupes de travail soient bien coordonnés et fonctionnent bien.
- Elle a une place importante au Bureau Municipal où elle prend les décisions opérationnelles que le DGS transmet ensuite vers les différents services. Le DGS participe lui-même aux réunions de bureau.
- Elle assure ses pouvoirs régaliens et son rôle de représentation à l’extérieur de la mairie.
- Dans le cas de Saint-Loubès, elle a un rôle de vice-présidence à la communauté de communes.
- Elle siège comme les autres élu.e.s dans l’instance politique.
- Elle est une ressource comme les autres élu.e.s dans les groupes de travail.
La proposition a été amendée par le groupe des 20 élu.e.s présents à la formation pour être ensuite adoptée par un tour de décision par consentement.
NB : Lors de cette première formation, l’équipe a décidé de consolider les circuits de décision dans son organisation interne. La seconde formation faite à Saint-Loubès a « greffé » la participation des habitants à ce fonctionnement (article à paraître prochainement sur notre blog).
Les groupes thématiques et les groupes de travail, moteurs de l’action municipale ont été ré agencés en 5 pôles thématiques (anciennement 11 commissions municipales), chacun animé par un animateur et un secrétaire. Les 5 pôles thématiques existent pour faire vivre les groupes de travail et appliquer le programme impulsé par l’instance politique.
De nombreux changements relatifs aux périmètres de décision de chaque instance ont été changés, un garant a été élu par la méthode de l’élections sans candidat pour que ces nouvelles habitudes et nouvelles pratiques soient bien appliquée.
A lire : Interviews des membres de l’équipe municipale suite à cette formation.