Démocratie interne à Saint-Senoux
10 février 2021
Cette collection d’articles “Au cœur de la mairie” propose une plongée au cœur du fonctionnement de ces communes ou de nouveaux élu·e·s expérimentent et révolutionnent les pratiques du pouvoir à l’échelle de la commune. Une source d’inspiration précieuse qui donne des clés pour construire une vraie démocratie locale.
Retour d’expérience de la mairie de Saint-Senoux en Bretagne qui a fait la formation-action sur la Démocratie interne avec les formateurs‧trices de Fréquence Commune.
Antinéa Leclerc, la maire de Saint-Senoux, Maryline Lair et Paulo Le Troquer, tous deux adjoints, nous racontent.
Contexte local
Saint-Senoux est un petit village de 1890 habitants situé dans le département de l’Ille-et-Vilaine en Bretagne. C’est un territoire attractif car il se situe à 20 km de Rennes et 20 km de Redon.
La population est polarisée entre les natifs et les néo-ruraux, ce qui génère un clivage entre ceux qui sont pour le changement et ceux qui sont assez conservateurs. Mais en règle générale nous avons une population qui reste de toute part très engagée. Nous avons des habitants de 70–80 ans qui accompagnent notre équipe municipale pour ne pas oublier l’histoire de Saint-Senoux et permettre d’amener une continuité et faire du lien entre les natifs et les néo-ruraux. Il y a ici un tissu associatif culturel et artistique très important et ce depuis de nombreuses années.
Naissance de la liste participative
La liste est partie d’une volonté forte de vouloir récupérer notre pouvoir d’agir en tant qu’habitant‧e car nous partageons tou·te·s une forte conscience de la nécessité de mettre en place une transition écologique, de l’importance de l’intérêt général là dedans et de l’envie de pouvoir changer nos modes de vie.
Nous avons aussi bénéficié d’un ressentiment général de ras-le-bol face à l’ancien maire qui avait des pratiques autoritaires. Notre liste participative candidate répondait à de nombreux habitants désireux d’un changement dans le mode de prise de décision dans la commune.
Nous avons aussi bénéficié d’un ressentiment général de ras-le-bol face à l’ancien maire qui avait des pratiques autoritaires. Notre liste participative candidate répondait à de nombreux habitants désireux d’un changement dans le mode de prise de décision dans la commune.
Dès le départ, lors de la création de notre collectif d’habitants, nous avons fait venir Tristan Rechid (formateur de Fréquence Commune). C’est la seconde fois qu’il venait travailler avec nous lorsqu’il est venu en septembre 2020.
Qui sont les personnes qui composent votre équipe municipale ?
Avec une moyenne d’âge de 40 ans, notre liste est relativement jeune. Nous sommes tous actifs et aucun de nous n’a déjà été élu auparavant.
Comment fonctionniez-vous avant de faire la formation sur la démocratie interne ?
Notre premier schéma de gouvernance a été construit il y a un an avec d’autres villes qui réfléchissaient à comment faire fonctionner des listes participatives. Depuis, nous fonctionnons beaucoup en “Go”, “No Go”: on y va, on n’y va pas, on expérimente !
Nous prenons du temps de réflexion, nous avançons en réajustant selon ce qui est confortable et ce qui l’est moins et en fonction des retours de la population.
Quand on se frotte à la réalité c’est une autre paire de manches. Tout d’abord, nous sommes 15 dans la majorité et fonctionner démocratiquement à 15 est déjà une vraie épreuve : cela prend déjà du temps, des mois. Les égos sont en jeu.
La seconde formation que nous avons faites une fois arrivés à la mairie nous a permis de nous aligner sur la définition de la démocratie participative qui n’était pas la même pour tout le monde. Elle nous a aidé à nous mettre tous au même niveau de connaissance et à se mettre d’accord sur une manière bien précise de fonctionner en équipe.
Description du schéma :
Toutes les instances sont animées par des outils d’intelligence collective.
Les groupes de travail
Rôle : Construction et suivi des projets. C’est un espace de travail très opérationnel. Traite un sujet thématique ou pluridisciplinaire.
Pourquoi ? : Co-construire les projets avec les habitants.
Qui ? : Élus de la majorité + élus de la minorité + agents + habitants.
Quand ? : Chaque groupe de travail a son propre calendrier.
Périmètre de décision : Décisions très opérationnelles, sans dimension politique.
Les commissions
Rôle : Donner le “Go” ou “NoGo” sur les groupes de travail.
Pourquoi ? : Prendre les décisions sur l’orientation des groupes de travail.
Qui ? : Toujours agents, élus et habitants. NB : dans notre équipe il y a 15 élu·e·s et il n’y a pas de différence entre les adjoints et les conseillers : tou·te·s ont une délégation.
Quand ? : Au moins une fois par mois, 15 jours avant le Conseil municipal.
Périmètre de décision : Les commissions prennent des décisions qui concernent les groupes de travail de leur thématique.
Le Copil (comité de pilotage)
C’est pour nous l’instance la plus importante.
Rôle : Tour d’actualité sur tous les sujets pour que tous les élu·e·s soient au même niveau d’information. On s’y informe, on y débat et on décide. Ces Copil sont donc très structurés dans l’animation (avec toujours un moment d’inclusion (tour de météo), un cadre relationnel que nous avons fixé tous ensemble, un cadre horaire, des rôles : un secrétaire qui prend les notes, établit l’ordre du jour et le transmet + un animateur).
Pourquoi ? : Nécessité d’une instance qui met tout le monde au même niveau d’information, c’est aussi un lieu de débat.
Comment ? : Chaque commission fait remonter ses sujets au secrétaire qui établit l’ODJ en fonction des sujets qui remontent des commissions. Chaque commission aura pour objet de spécifier si son sujet relève :
– d’une information : la commission informe le Copil d’une action ou décision qu’ils ont prise en commission ;
– d’une concertation : la commission sollicite l’avis du Copil pour un sujet mais n’est pas obligé d’appliquer ce qui leur aura été suggéré (dans la mesure où le sujet relève bien du périmètre de décision de la commission et pas du Copil) ;
– ou d’une co-décision.
Quand il s’agit d’une co-décision : un membre de la commission fait une présentation du projet très claire et capable de répondre à toutes les questions de clarification. Si toutes les questions de clarification ne sont pas claires, la décision est reportée au prochain Copil avec toutes les informations attendues par les membres du Copil pour qu’ils soient capable de décider de manière éclairée.
Qui ? : Les 15 élus de la majorité + les 4 élus de la minorité (cependant ils ne sont jamais venus, ils ne souhaitent pas participer à la co-construction avec nous)
Quand ? : Une fois par mois
Périmètre de décision : C’est ici que les décisions importantes sont prises
Le Bureau municipal
Rôle : Permet le partage et la mise à niveau d’information sur la gestion courante de la municipalité. Permet aussi au directeur général d’avoir une vision globale sur l’ensemble des sujets.
Pourquoi ? : Il nous permet d’avoir une instance “informelle” régulière.
Qui ? : DGS + Maire + élu·e·s délégué·e·s.
Quand ? : deux fois par semaine (lundi matin et samedi matin)
Périmètre de décision : Gestion des affaires courantes, exécutif.
Le Club
Rôle : C’est le moment où on ne parle que projets politiques. C’est un moment d’imaginaire, de créativité. On définit ensemble les grandes lignes, les grands projets. (ex : nous avons travaillé sur nos critères de participation citoyenne et les différents champs d’action qui en découlaient)
Pourquoi ? : Recentrage sur nos valeurs principales et sur lesquelles nous souhaitons que tous nos projets se déclinent.
Qui ? : Élu·e·s de la majorité.
Quand ? : Le club a lieu à fréquences des irrégulières
Périmètre de décision : Grandes décisions politiques, grandes orientations.
Le Conseil municipal
Rôle : C’est une instance de validation des décisions prises en Copil.
Mais c’est aussi une instance importante de participation citoyenne car (hors Covid) de nombreux habitants viennent pour s’informer des sujets/projets qui en cours. On leur laisse toujours un temps pour poser toutes les questions qu’ils souhaitent et amener des sujets sur lesquels ils pourraient travailler en commission ou en groupe de travail.
Pourquoi ? : Porte d’entrée des habitants vers les groupes de travail et les commissions.
Qui ? : Ouvert à tout le monde.
Quand ? : 15 jours après le Copil.
Périmètre de décision : Les décisions sont prises en amont lors du Copil puis sont votées au conseil municipal, l’instance officielle au regard de la loi.
Nous allons retravailler ce schéma au mois de mars lors d’une nouvelle formation avec Fréquence Commune pour y faire apparaître des instances comme :
Le Conseil des Sages
Rôle : Instance d’évaluation pour nous alerter en cas de mauvaise gestion de la démocratie ou sur nos promesses non tenues.
Pourquoi ? : Nous permettre de nous aider à avancer, à évoluer vers des meilleures pratiques.
Qui ? : Élu·e·s + habitant·e·s + agents
Quand ? : Constamment
Périmètre de décision : Peut se saisir du règlement intérieur pour alerter d’une entrave au fonctionnement.
Lors de cette seconde formation nous allons travailler sur de nouvelles entrées pour la participation des habitants dans notre fonctionnement actuel. Depuis le début on a greffé la population mais sans véritablement structurer cette participation. Nous souhaitons qu’elle participe avec nous au même niveau que nous, dans toutes les instances,à tous les projets et tous les niveaux mais nous ne l’avons pas encore bien structuré.
Nous avons hérité des projets en cours de l’ancienne mairie, nous sommes donc en train de revoir tous les processus des projets (ex : l’ancienne municipalité était sur des projets de réhabilitation de bâtis et nous avons tout arrêté pour tout recommencer dans un processus participatif avec la population et aussi pour y intégrer tout ce qui est transition énergétique et écologique).
Questions des intervenant·e·s et des participant·e·s à Antinéa, Paulo et Maryline de Saint-Senoux :
Travaillez-vous avec vos agents ?
Oui :
– Chaque agent référent participe à toutes les réunions qui incombent à sa thématique (ex : lors de la réunion urbanisme, deux agents sont présents en permanence).
– Nous avons aussi adhéré à Bruded (réseau d’échange de pair à pair entre communes en Bretagne) et nos agents vont aussi avec nos élus participer à ces conférences et formations.
– Ils sont aussi avec nous au Bureau municipal
– Ils ne sont pas dans le Copil car c’est l’instance qui arrive à la fin, où on a déjà co construit avec eux auparavant. on arrive en Copil au moment décisionnaire et on les a déjà consulté, ils nous ont déjà conseillé pour la mise en œuvre des projets.
Ce changement de fonctionnement par rapport à l’ancien mandat a été perturbant pour eux au début, mais ils en sont ravis aujourd’hui.
Pourquoi avoir choisi de travailler la démocratie interne avant de travailler la participation avec les habitants ?
Il faut d’abord arriver à travailler à 15 élu·e·s de manière démocratique et s’entendre sur un fonctionnement unique car il y a autant de définitions de “démocratie” que d’élu·e·s, même si à priori nous avons la même vision. Après la formation sur notre démocratie interne, il nous a fallu six bons mois pour que ce nouveau fonctionnement soit bien intégré dans nos manières de travailler. Maintenant que cela fonctionne bien entre nous, nous sommes enfin prêts à greffer la participation citoyenne à notre fonctionnement. Il y a aussi une nécessité de formation des élu·e·s aux animations d’intelligence collective pour mettre tout le monde au même niveau de connaissance. Nous commencerons déjà par bien définir comment nous travaillons avec les habitants à l’intérieur des groupes de travail avant de travailler avec les habitants de manière plus large.
La mise en pratique du schéma a-t-elle été facile ?
Nous sommes passés de la théorie à la pratique au lendemain de la formation. Ça a aidé, c’était encore bien frais. Ça a été intéressant pour nous de réajuster ensemble nos anciennes manières de fonctionner. Nous avons eu une demi journée en début de formation pour nous dire ce qui n’allait pas dans notre fonctionnement, où ça bloquait. Le fait que nous ayons instauré entre nous ce rapport d’équivalence et sans arrêt se dire où il faut que nous nous améliorons ainsi qu’être à l’écoute les uns les autres fait que nous sommes dans l’évaluation et la progression constante de notre fonctionnement.
Quand vous voulez prendre une décision en Copil, mais que la proposition n’est pas mûre, comment faites-vous ?
Nous reportons la prise de décision à un prochain Copil pour amener une proposition clarifiée ou modifiée qui puisse être consentie par tous. Et si quelqu’un a un gros problème avec le projet et pose sans cesse des objections, il a la possibilité de voter contre en Conseil municipal. Nous avons le droit d’être contre, même après avoir débattu et échangé. C’est donc une décision qui pourrait aboutir avec un vote contre.
Qui aide à définir si vous êtes sur sur une information, une demande de consultation ou de co-décision ?
Les ordres du jour sont établis en commission. Les commissions sont directement en relation avec les secrétaires et l’animateur des autres instances et souvent ils vérifient entre eux si cela relève bien de l’information, de la concertation ou de la co-décision. À force de pratique les élu·e·s arrivent de mieux en mieux à discerner les niveaux par eux-mêmes.
Comment gérez-vous les urgences et le rôle du maire ?
Même dans l’urgence, je ne décide jamais toute seule. Nous avons une vraie cohésion d’équipe (grâce au Whatsapp principalement dans ces cas d’urgence).
Le Club qui finalement fait du narratif, construit l’imaginaire de ce que vous souhaitez mettre en place, se tient entre élu·e·s de la majorité. Pensez-vous ouvrir cette instance à des colistiers non élu‧e‧s par exemple, ou encore à des habitant‧e‧s ?
Nous pensons l’ouvrir oui, mais il faut déjà que nous la pratiquions et que nous maîtrisions bien l’animation (ça fait que deux fois que nous nous réunissons).
Est-ce qu’avec le Club vous n’avez pas peur de recréer un entre-soi ? Comment faire pour inclure ceux qui ne pensent pas comme vous pour qu’ils puissent travailler avec vous ?
Il y a le Copil qui est ouvert à l’opposition. Mais il est important d’avoir une instance (Le Club) qui nous permette de nous retrouver entre élu·e·s de la majorité pour se dire les choses ou faire de la médiation. Nous sommes un groupe pluriel, nous n’avons pas les mêmes opinions sur tout. Cet espace qui nous est réservé nous permet de faire le point collectivement, de vérifier que nos engagements sont respectés. Les habitant‧e‧s nous attendent là-dessus car une campagne c’est aussi des engagements forts auxquels il faut être en capacité de répondre.
Y a-t-il des élu·e·s qui se sont désengagé·e·s dans vos équipes, qui avaient du mal avec votre fonctionnement participatif ?
Quelques élu·e·s ont un peu plus de mal car moins habitué‧e‧s que les autres aux techniques d’animation participatives, à la compréhension par exemple de ce qu’est la gestion par consentement, aux nuances entre la préférence et l’objection*. Au delà de ça, tous les élu‧e‧s sont très engagé‧e‧s et passionné‧e‧s par leur délégation.
Conclusion
La plupart des municipalités qui font de la participation citoyenne se contentent de venir greffer des “gadgets” à un fonctionnement classique. À Saint-Senoux, Ambierle, La Crèche et dans de nombreuses autres villes et villages, c’est jusque dans le cœur de la mairie que la place de l‘implication directe des habitant‧e‧s de la commune est questionnée et repensée. Il s’agit d’un réel changement culturel dans les manières de faire de la politique.
Ces retours d’expériences révèlent que la définition des règles de fonctionnement en collectif est primordiale dans les démarches démocratiques : s’il n’y a pas de règle, ce sont finalement les personnes les plus influentes, les plus persuasives, les leaders qui prennent les décisions.
Ces expériences démocratiques et ces schémas en développement sont des sources d’inspiration pour toutes celles et ceux qui essayent de construire au sein de leur commune de réels espaces démocratiques. Le fossé entre l’idéal et la mise en pratique est souvent énorme, mais la description détaillée de ces dynamiques nous donnent des clés pour agir concrètement dans nos communes et pour rendre réels et efficaces une nouvelle démocratie.
*Dans une décision par consentement, il existe deux types d’objections valables : la première car la proposition viendrait entraver les fondamentaux et les valeurs de la personne qui pose l’objection, la seconde car la proposition viendrait mettre en danger le projet (il faut dans ce second cas expliquer concrètement où est le danger).
Article rédigé par Ondine Baudon.