Plouguerneau : une fabrique collégiale du budget

Categories: Accompagner|By |

24 janvier 2023

A Plouguerneau, l’équipe municipale s’est saisie de la crise budgétaire des communes pour (encore) grandir en collégialité. Ce type d’accompagnement, mêlant méthode et expertise, fut une première pour Fréquence Commune.

 Article rédigé par Delphine Frenoux.

Plouguerneau, Finistère Nord, automne 2022. L’équipe municipale tente de résoudre son équation budgétaire pour 2023. Sous l’effet cumulé de l’incertitude liée à la guerre en Ukraine, la disponibilité limitée du parc nucléaire français et l’impact de la sécheresse sur les ressources hydroélectriques, les prix de l’énergie sont près de 10 fois supérieurs à ceux de 2020. L’inflation porte par ailleurs à la hausse toutes les dépenses de la commune : matières premières, alimentation, papier… A laquelle s’ajoute une masse salariale en augmentation du fait de la revalorisation du smic et de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires. Autant dire que l’actuel mandat ne ménage pas les élus !

A la conjoncture nationale, le contexte plouguernéen ajoute son lot de difficultés. L’équipe municipale a passé le mandat précédent à assainir les finances de la collectivité, inscrite au Réseau d’alerte des finances locales, fruit de la mauvaise gestion de l’équipe précédente. A ce legs s’ajoute un espace culturel surdimensionné pour la commune. Inaugurée en 2014, l’Armorica coûte chaque année à la municipalité plus de 300 000 euros en subventions de fonctionnement. Un effort financier annuel démesuré par rapport à la capacité financière de la commune. Et comme si cela n’était pas suffisant, l’état vétuste du patrimoine municipal nécessite d’importants investissements de rénovation, réduisant à peau de chagrin les marges de manœuvre financières nécessaires à la mise en place du programme politique (dont l’aménagement du bourg, les investissements de transition et l’écomusée).

L’équipe de Plouguerneau est face à un mur, d’autant que certains investissements programmés en tout début de mandat ont été décalés dans le temps pour des raisons techniques et sanitaires. Dans la section investissement, le Programme Pluriannuel d’Investissements (PPI) déborde, les orientations politiques initiales sont « bousculées » du fait du décalage dans le temps de certains projets non exécutés et des urgences à destination du bâti municipal. Même casse-tête pour la section de fonctionnement, conjoncture oblige.

C’est dans cette situation tendue que l’équipe municipale fait appel à Fréquence commune. Fidèle au fonctionnement horizontal mis en place en début de mandat, les élus plouguernéens entendent prendre les décisions qui s’imposent de manière collégiale, et en toute transparence. Chose d’autant plus difficile dans un contexte financier très contraint, où les élus ont tendance à défendre bec et ongles les projets relevant de leur délégation. Les objectifs initiaux de l’accompagnement sont donc les suivants :

  • élaborer un nouveau protocole de construction collégiale du budget primitif
  • définir des critères d’arbitrage des investissements pour le PPI
  • définir un protocole d’arbitrage des projets en cours d’année (hors construction budgétaire)

L’accompagnement a consisté en trois visioconférences de deux heures chacune en cercle restreint (maire, adjoints aux finances de cette mandature et de la précédente, DGS, DGS-adjointe et responsable du service financier) et d’une journée à Plouguerneau avec l’ensemble de l’équipe municipale.

Dans la première phase de l’accompagnement (les séances en groupe restreint en visio), nous nous sommes inspirés de la « méthode des 6 chapeaux » d’Edward de Bono, qui permet de prendre du recul et d’observer une situation donnée sous 6 angles différents, 6 modes de pensées distincts matérialisés par 6 chapeaux de couleurs différentes.

La première séance de travail en visioconférence a permis de clarifier les besoins de l’équipe municipale et de préciser les objectifs de l’accompagnement. L’équipe de Plouguerneau a dans cette perspective dressé un diagnostic partagé de la situation financière de la commune, de la gouvernance politique du groupe majoritaire en général et du processus de construction budgétaire. Le diagnostic partagé a permis de recueillir les différences de perception afin d’enrichir la compréhension du fonctionnement de l’équipe. Cette réflexion animée en intelligence collective (compréhension commune de la situation, clarification des postures individuelles, écoute active…) a par ailleurs généré de l’alignement dans le groupe, nécessaire à la co-construction des nouveaux processus.

Lors de la seconde visioconférence, nous avons partagé notre compréhension de la situation et demandé des clarifications, notamment sur les ajustements apportés au cours des derniers mois en matière de construction du PPI et de définition des “investissements nécessaires” à réaliser sur le bâti municipal. De cette séance de travail sont notamment ressortis le besoin d’une mise en perspective politique de la situation budgétaire, le besoin d’un alignement de l’équipe sur la notion d’« investissement nécessaire » et la nécessité d’un apport autour de la prise de décision collective.

Sur la base du diagnostic partagé, nous avons élaboré lors de la troisième visioconférence le déroulé de la journée d’accompagnement en présentiel, qui devra répondre aux besoins exprimés : « besoin d’une méthode conjuguant démocratie interne et efficacité », « se saisir de la préparation budgétaire 2023 pour prendre des décisions majeures qui s’imposeront jusqu’à la fin du mandat : qu’est-ce qui est prioritaire ? qu’est-ce qu’on décide de ne pas faire ? », « besoin de remettre du politique dans le budget, retravailler l’articulation entre finances et politique », « nécessité d’un alignement politique sur ce qui relève de la nécessité » et « retravailler la méthode de prise de décision collective ».

La journée d’accompagnement s’est déroulée le 22 octobre à Plouguerneau en présence de la quasi-totalité des membres de la majorité municipale (24), du DGS, de la DGS adjointe et de la Directrice finances ressources.

Nous avons débuté la journée par le partage du diagnostic réalisé en amont, la mise en perspective nationale de la situation budgétaire plouguernéenne et le rappel des arbitrages à mener dans le cadre de la construction budgétaire (voir schéma). Chacun des membres de l’équipe a par la suite pu réagir en plénière : « je suis désabusée, perplexe, mais pas démotivée », « vu le contexte, nous avons un gros travail de communication à faire auprès des habitants », « je me sens dépassé, mais le fait qu’on soit là ce matin, c’est qu’on reste engagés ! Pour moi, cette journée-là, c’est positif ! ».

 

Nous avons poursuivi avec la proposition d’un nouveau protocole de construction du budget primitif, dont l’apport principal réside dans la mise en place d’un groupe de travail (GT) Construction budgétaire. Composé du maire, de la première adjointe, de l’adjoint aux finances, du DGS et des élus qui le souhaitent, ce GT élargi permettra en toute légitimité de construire une proposition argumentée et de traiter en amont un certain nombre de désaccords. Ce GT aura pour mission de proposer en réunion de majorité un budget équilibré pour lequel les arbitrages auront déjà été faits. La majorité pourra proposer un certain nombre d’amendements argumentés, que le GT prendra en compte dans une nouvelle proposition amendée. GT et majorité procéderont ainsi à autant d’allers-retours que nécessaire pour converger vers l’adoption d’un budget primitif final auquel l’ensemble de l’équipe aura consenti. Ces allers-retours viseront à amender et enrichir la proposition apportée par les proposeurs jusqu’à ce qu’elle soit claire et ne fasse plus l’objet d’objection.

Nous avons ensuite travaillé à l’émergence de critères d’arbitrage des investissements dans le cadre du PPI. Nous avons utilisé la méthode de la « boule de neige », où chacun détermine 4 critères, puis se joint à une autre personne pour passer de 8 à 6 critères, puis à 4 personnes pour passer de 12 à 8 critères. Nous avons ensuite utilisé la méthode du métaplan et regroupé les critères similaires pour leur adoption par l’ensemble des élus.

Après la pause méridienne, le groupe restreint ayant assisté aux visioconférences a proposé une définition de la « nécessité ». Selon la définition adoptée, sera considéré comme « investissement nécessaire » tout investissement indispensable à la salubrité et la sécurité du bâti municipal, ou tout investissement qui engendrera une dégradation du bâti s’il n’est pas réalisé, et donc des coûts supplémentaires. Nous avons ainsi passé en revue l’ensemble des besoins d’investissements sur le bâti municipal, et arrêté le « budget nécessité » pour 2023. Son chiffrage par les équipes techniques permettra de connaître les marges de manœuvres financières restantes pour la programmation des « investissements politiques ».

Nous avons enfin clôturé la journée par l’adoption d’un protocole de décision pour les engagements financiers pris en cours d’année, hors construction budgétaire.

Tour de réaction des élus en fin d’accompagnement: 

« ces nouvelles méthodes vont nous permettre d’avancer ! »

« je suis soulagé d’avoir monté ce GT de construction budgétaire, ça va être plus simple et plus efficace », « pour moi c’est très enrichissant, on va continuer à progresser ensemble » « ça va nous éviter des heures et des heures de travail dans le vide, et nous permettre de concrétiser »

« je suis très attaché à ce groupe qui a une véritable intelligence collective, ce qui va nous permettre de surmonter les difficultés et de rester au service des habitants ! ».

… nous confirmons qu’il émane de ce groupe d’élus une véritable intelligence collective ! Les outils d’intelligence collective ne valent rien s’ils ne sont pas accompagnés d’une posture véritablement coopérative.

Article rédigé par Delphine Frenoux.