Une journée formation/action à Poitiers
2 avril 2021
Deux formateurs de Fréquence Commune arrivent dans l’impressionnant bâtiment de la Mairie de Poitiers. Ils viennent pour accompagner les élu.e.s de la ville dans l'objectif d’améliorer la démocratie interne. Leur méthode va permettre de pointer la difficulté à concilier la culture citoyenne avec la culture des partis politiques. Un obstacle a été rencontré parce qu’un pas a été fait, il y en aura d’autres...
Poitiers, 88 665 habitant·e·s, centre d’une communauté urbaine de 191 797 habitant‧e‧s.
L’équipe municipale majoritaire de Poitiers Collectif aux manettes, après la victoire électorale, est composée de 36 élu‧e‧s. Pour atteindre l’objectif de changer durablement le territoire vers plus d’écologie et de justice sociale, de nombreuses délégations ont été attribuées. L’engagement principal de la liste élue est de repenser le fonctionnement de la démocratie locale.
Une formation-action express
La coopérative Fréquence Commune est venue une seule journée, dans un format plus court que d’habitude, avec l’objectif d’approfondir la démocratie interne du groupe d’élu‧e‧s majoritaire. Cela a été l’occasion d’expérimenter une décision par consentement à 36.
Comme toujours dans les nouvelles équipes d’élu‧e‧s, les six premiers mois ont eu leur lot d’incompréhensions, de difficulté à s’organiser entre élu‧e‧s, avec le cabinet et les services. La Covid a inévitablement rendu plus difficile l’installation de la nouvelle équipe et rendu quasi impossible l’organisation de temps en grand groupe nécessaires au partage et à la construction d’une vision ambitieuse : faire de la politique autrement au service de l’écologie et de la justice sociale. Le challenge de la nouvelle municipalité poitevine est d’approfondir en continuant à prendre les décisions en collectif.
L’intense rythme de travail des élu‧e‧s
Après plusieurs réunions préalables avec les adjoints et les représentants du cabinet pour cadrer cette journée de formation-action, la journée débute par un temps de retrouvailles. L’équipe n’a pas eu l’occasion de se retrouver physiquement depuis longtemps. Masqués, les élu‧e‧s se répartissent en groupe de 3 pour un temps de 45 minutes où chaque élu‧e est invité‧e à renouer avec les raisons personnelles de son engagement pour la ville.
Si le Covid est venu bouleverser les manières de se réunir, la pandémie n’a pas modifié le rythme des réunions de groupe d’élu‧e‧s de Poitiers. Avec un bureau municipal et des réunions en sous-groupes chaque semaine, sans compter les missions de chacun des adjoints et conseillers municipaux, la gestion du temps est une préoccupation fortement ressentie par l’équipe municipale. Face à la pression, le travail commence par un atelier d’interconnaissance : il s’agit de prendre soin du groupe en revenant sur les motivations fondamentales et de reprendre un temps d’écoute au sein du groupe.
Faire évoluer l’organisation interne
Après avoir redonné d’abord de la place à la convivialité, un temps d’émergence est ouvert sur une première proposition de schéma de démocratie interne. L’après-midi est dédiée à une décision par consentement pour l’adoption du nouveau schéma de gouvernance.
Ombelyne Dagicour, première adjointe à la démocratie locale – Formation « Démocratie interne » – Fréquence Commune.
La proposition d’une nouvelle organisation est portée par Ombelyne Dagicour, la première adjointe à la démocratie locale et Pierre Rigollet, conseiller délégué à la bientraitance animale, ils proposent de recentrer l’organisation des élu‧e‧s sur 4 pôles décisionnaires déjà existants : le lien social, le développement économique, la démocratie et la transition écologique.
Dans une logique de transformation démocratique et s’appuyant sur les principes de la sociocratie, ces pôles sont autonomes dans leur organisation et sont souverains dans leurs prises de décision. La validation en bureau municipal n’est nécessaire que lorsque le pôle l’estime nécessaire ou bien lorsque la décision vient impacter l’ensemble de la municipalité. S’il s’avère nécessaire de discuter plus en profondeur d’un sujet avec l’ensemble des élu‧e‧s, les pôles renvoient la proposition en « Plénière de majorité », c’est à dire au sein d’un organe conçu pour discuter à 36 élu.e.s des grandes orientations et décisions politiques. Cette proposition inclut une modification du bureau municipal : réduction à une simple chambre exécutive avec une délégation importante de pouvoir exécutif à certains élu‧e‧s qui y siègent de manière tournante (changement tous les 6 mois).
La proposition est donc de séparer le pouvoir législatif (plénière de majorité) du pouvoir exécutif (bureau municipal) qui aurait comme prérogative uniquement d’appliquer les décisions des pôles ou de la plénière. La proposition inclut donc la réduction du bureau municipal de 36 à 11 élu‧e‧s pour gagner en efficacité dans l’application opérationnelle des décisions et ne pas encombrer tout le groupe d’élu·e·s avec des affaires exécutives. En résumé : 4 pôles d’élaboration de la décision, une pleiniére législative de contrôle politique et une instance exécutive tournante.
La décision au consentement. La proposition faite par Ombelyne et Pierre est une proposition « martyre » qui est ensuite soumise aux questions du groupe. Durant ce tour de clarification, toute réaction de l’ordre de la critique ou de la préférence ne sont pas valables. Effectivement, avant de travailler la proposition encore faut-il s’assurer de l’avoir entièrement comprise ! Cette typologie, en « proposition », « clarification », « information », expérimentée dans d’autre communes, facilite ensuite grandement les temps de décision collective entre élu‧e‧s (pour allez plus loin vous pouvez consulter la fiche méthode « Réunion opérationnelle » ).
À Poitiers, ce temps de clarification permet de s’apercevoir que le constat de base sur le fonctionnement interne qui a servi de socle à la proposition (construit par un groupe de 8 élu‧e‧s avant la journée de formation) n’est pas partagé par tout.e.s : il y a un premier désaccord sur le chemin emprunté par les décisions politiques, un second sur la place du cabinet dans la préparation de l’ordre du jour et le rôle des services, enfin une grande réticence à réduire la taille du bureau municipal. Une question semble par ailleurs rester en suspens : quelle est la place de Léonore Moncond’huy, la maire de Poitiers, dans ce fonctionnement très horizontal ?
Dans cette phase il s’agit donc pour les élu‧e‧s de formuler leurs objections et propositions de modification pour permettre aux deux proposeurs, Ombelyne et Pierre, de retravailler le schéma avec les animateurs pendant la pause du repas.
Le rôle du cabinet et des partis politiques
Si la liste de Poitiers Collectifs et la majorité qui en découle ont adopté des formes très novatrices de gouvernance, les moyens alloués et l’organisation juridique prévus dans le code des collectivités territoriales pour le fonctionnement des majorités municipales encadre strictement la vie municipale. Il prévoit notamment la création d’un cabinet, et des moyens pour l’organisation interne de chaque composante et de chaque groupe politique de la majorité. L’organisation des services municipaux prévoit un protocole spécifique pour les conseils municipaux. Ces procédures contraignantes rendent les marges de manœuvre de transformation de l’organisation de la commune plus complexes encore. Ainsi à Poitiers, le choix a été fait de créer un cabinet au service de l’ensemble des adjoints alors qu’habituellement celui-ci est directement rattaché au bureau du maire. Ce sont des détails techniques dans l’organisation de la municipalité mais qui, petit à petit, permettent d’ouvrir la porte aux habitants de la commune et de les inclure dans les prises de décisions.
L’information : un enjeu de pouvoir ?
La journée se conclut par une absence de consentement sur le fonctionnement du bureau municipal. Le rythme des réunions restera donc le même avec un bureau municipal par semaine à 36. Au centre de cette opposition demeurent deux inquiétudes :
1. La crainte de ne plus être tenu‧e informé‧e des différentes décisions prises et de ne plus être en capacité pour un‧e adjoint‧e de répondre aux citoyen‧ne‧s sur les questions ne relevant pas de sa compétence. S’il est question d’utiliser d’autres outils (comme une newsletter interne aux élu‧e‧s) rien ne semble remplacer la qualité des informations reçues de vive voix lors des bureaux municipaux.
La préoccupation que chaque élu‧e soit en capacité de répondre sur tous les sujets relevant de la municipalité apparaît à plusieurs reprises dans la liste de Poitiers Collectif. Entre le rythme effréné des réunions et l’exigence de pouvoir rendre compte, les élu‧e‧s semblent décidé‧e‧s à choisir la rigueur démocratique quitte à ne rien transiger sur leur temps de travail. Dans une nouvelle culture démocratique, la question peut cependant se poser de la pertinence de l’omniscience des élu‧e‧s. Dans une démocratie, les habitant‧e‧s ne doivent-ils pas eux aussi apprendre à arrêter d’attendre d’avoir des élu‧e‧s tout puissants ?
2. La crainte de ne plus pouvoir donner son avis sur chaque décision de la commune. C’est une des principales difficultés que l’on rencontre en accompagnant ces nouvelles équipes d’élu‧e‧s lorsqu’elles sont issues de listes mixtes (citoyennes et partis politiques). Le changement de culture politique vers un lâcher prise individuel pour garantir une efficacité collective (« je ne suis pas au courant de tout et je ne donne pas mon avis sur tout ») demande de sortir des jeux de politique politicienne, de faire taire les égos et nécessite une grande confiance entre les élu‧e‧s. C’est un chemin qui nécessite du temps.
Quels changements à l’issue de la formation-action ?
Les 4 pôles (le lien social, le développement économique, la démocratie et la transition écologique), qui chacun regroupent plusieurs adjoints et certaines commissions extra-municipales, sortent renforcés de cette formation-action : ils se retrouvent plus autonomes et participent grandement à une décentralisation du pouvoir. Travailler par thématique dans les pôles permet de dédier plus de temps à la délibération sur les sujets de fond.
Le rôle de la Maire est réaffirmé. En plus de ses prérogatives déjà définies, elle participe mensuellement aux pôles et elle pourra s’investir spécifiquement sur un sujet qu’elle souhaite porter. Son rôle de porte parole de l’équipe municipale est aussi réaffirmé et elle assurera la communication externe en assurant le « rendu compte » aux habitant‧e‧s. Par exemple sous la forme de live, le dernier en date, celui du 18 mars : « Léonore Moncond’huy, Maire de Poitiers répond aux questions des Poitevines et des Poitevins ». Enfin, Poitiers Collectif et ses alliés organiseront des séminaires pour approfondir les grands thèmes transversaux de la mandature.
L’ambition de rester collectif l’emporte donc sur la facilité ou le confort d’une forme de délégation promettant de garder le rythme exigeant pris lors de la campagne. Comme dans toutes les communes engagées dans la transformation des institutions par le bas, la route est encore longue mais les bases de l’équipe de Poitiers sont solides. À suivre.