Lundis en Commun #8 — Comment transformer la gouvernance interne d’une municipalité ?

22 septembre 2020

Comment changer les pratiques de fonctionnement d’une municipalité ? Comment former les élu.e.s et les agents à de nouvelles formes de gouvernance plus partagée ? Comment dépasser la lourdeur du fonctionnement administratif vers un fonctionnement plus agile, moins vertical, qui laisse place à l’initiative des habitants et des agents ?

Les invitées : Anne-Sophie Olmos, élue à Grenoble depuis 2014 et Laurène Streiff, directrice du service innovation démocratique à la Région Occitanie.
Les animateur.trices : Ondine Baudon et Thomas Simon d’Action Commune.

Capture d’écran du lundis en commun #8. Laurène Streiff.

Comment fonctionne le schéma classique d’une mairie ?

=> NB: On observe que dans ce schéma classique de gouvernance d’une mairie, les citoyens n’interviennent à aucun moment, sauf lors de l’élection : une fois tous les six ans.

Quels sont les changements des pratiques que vous avez mis en œuvre pour plus de démocratie ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :

  • Co construction du programme avec les habitants lors de la campagne (ateliers, plateformes participatives…) ;
  • mise en place de conseils citoyens indépendants tirés au sort pour qu’ils puissent poser des questions en début de conseil municipal ;
  • des budgets participatifs ;
  • des votations et pétitions (à partir d’un certain nombre de signatures, une pétition peut passer en conseil municipal) ;
  • des agoras ;
  • des chantiers ouverts aux habitants ;
  • des formations autour du budget ;
  • évolution du droit à l’opposition ;
  • des comités d’usagers sur la culture et les sports ;
  • des consultations sur les grands projets.

Concernant les mesures politiques : tous les élus siègent ensemble dans un groupe unique et tiennent un projet commun qui a été co construit avec les habitants. Pour s’en assurer, une charte de fonctionnement a été écrite.

Laurène Streiff (Région Occitanie) :
– Contexte Région Occitanie : 6 millions d’habitants, 13 départements, 72 000 km2, 7000 agents. C’est donc une grosse machine.
– À l’échelle de la région, on est plutôt portés sur la consultation des habitants, notamment en amont des grands projets. Cependant, ce ne sont que des organisations structurées (associations etc) qui finalement participent à ces consultations, les habitants ne se sentent pas concernés par cette échelle, ce sont donc les grands absents.
– En 2018 (c’est donc très récent), on a constitué une petite équipe de 5 personnes pour accompagner les élus et agents à être dans cette dynamique de démocratie participative dont le but est de palier à cette absence des habitants des les processus de participation de la Région, basée sur une charte de la citoyenneté active.
– Outils inscrits dans cette charte (outils d’instance consultatives) : l’assemblée des territoires (réuni les élus de la région), le conseil régional des jeunes, le parlement de la mer, le parlement de la montagne. Ce sont des instances qui peuvent s’auto-saisir : elles ne sont pas qu’en attente de directives de la région, elles peuvent entre elles décider de prendre en charge des sujets et les porter à l’échelle de la région.
– Le Budget participatif. La différence avec les budgets participatifs des villes c’est que la région ne peut pas être maitre d’ouvrage du projet, elle vient donc plus en apport financier par l’intermédiaire d’une association à laquelle le projet se greffe. La phase de vote a pour vertu de faire collectif autour d’un projet porté par un habitant.
– La Région a la compétence Lycées, on a donc souhaité faire participer les habitants à partir de 15 ans.

Capture d’écran du lundis en commun #8. Anne-Sophie Olmos.

Quels sont les blocages pour mettre en œuvre des politiques de participation citoyenne ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
– Contexte : Grenoble compte 4000 agents.
– La posture de l’agent municipal dans les transformations de gouvernance a été compliquée. Quand on est arrivé en 2014, tout était à reconstruire. On s’est donc posé la question : “Qu’est-ce qu’une institution au service des habitants?”. Les agents étaient alignés sur l’idée d’être au service des élus et de la direction, par contre la notion de “au service des habitants” était difficile à imaginer en pratique. Il a donc fallu changer les manières de travailler, ça a pris beaucoup de temps et ça a demandé un très grand respect du rôle et de la place de chacun (élu, agent, habitant). Petit à petit tous les services de la ville ont voulu faire de la démocratie participative !

Le service démocratie participative est donc finalement venu en ressource aider les autres directions à faire elles-mêmes de la démocratie participative.

C’est une preuve qu’avec le temps on arrive à étendre les bonnes pratiques.

“On dit souvent à Grenoble dans l’équipe “Il faut s’entraîner à la démocratie”.

– On a ouvert l’exécutif aux élus du maire (donc même ceux qui n’ont pas de délégation) pour qu’ils viennent participer à la construction collective des politiques publiques.
– Le style de leadership du maire ou DGS est central : “tu ne sais pas nager, c’est pas grave, tu vas apprendre”. Ça encourage les non élus, les agents qui ne se sentent pas spécialistes à prendre confiance en leur pouvoir d’agir. Cet esprit fait tache d’huile et c’est ainsi toute l’équipe de la mairie qui se sent embarquée dans le changement.

Laurène Streiff (Occitanie) :
– la direction de la coordination de l’innovation citoyenne dans laquelle je travaille vient en appui pour outiller les élus dans leur démarches.

Difficile d’acculturer les conseillers du cabinet qui sont prises dans l’urgence des projets.

On n’a pas su les embarquer dans les actions et formations avec les élus sur les questions de démocratie. Ce sont des gens qui ne sont pas convaincus par les démarches.

Ce sont des gens qui ont peur aussi de la délégation et donc de la perte du pouvoir.

Il est donc important de bien mettre tout le monde autour de la table et au même niveau d’information quand on met en place les choses, sinon cela créé des incompréhensions par la suite.

Quel pourcentage du budget participatif par rapport au budget global annuel ? A grenoble ? Région Occitanie ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
BP Grenoble = entre 800 000€ et 1M€ par an. Le plus gros projet qu’on ait eu c’était le plan école avec plus de 66 millions d’euros sur 6 ans.
Laurène Streiff (Occitanie) :
1% du budget régional (3,5 Mrd d’€). 25M€ de Budget participatif.

Quel est le rôle des outils numériques et quelle importance ont-ils dans les différents dispositifs de démocratie participative ? Quelle est la bonne dose de numérique ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
La place du numérique est complémentaire. Côté numérique, pour la campagne municipale, on a utilisé la plateforme Decidim pour poster en transparence les propositions de programme et permettre d’en débattre.
Laurène Streiff (Occitanie) :
La régioncitoyenne.fr est la colonne vertébrale du dispositif. Les maisons de région (18 dans tout le territoire) sont formées au site laregioncitoyenne.fr pour aider les habitants à déposer leurs projets.

Existe-t-il des échéanciers de dispositifs participatifs qui permettent de partir avec des choses concrètes et réalisables à une échelle de 2 à 5 ans ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
Je n’ai pas connaissance de ce genre d’outil. Ce que je peux dire c’est que c’est effectivement impossible de se lancer dans plein d’outils participatifs en même temps. La première chose qu’on a lancé à Grenoble c’est le Budget participatif car on savait que ça allait bien marcher. D’année en année on a cherché à intégrer les personnes qui ne participaient pas, on cherche aussi à faire converger les revendications et les projets qui pourraient s’opposer, qui semblent être en contradiction pour qu’on soit dans une co construction, dans le faire société ensemble.

Le conseil que je pourrais donner c’est que quand il n’y a pas d’objet précis sur lesquels travailler les groupes de travail ont tendance à s’essouffler.

On a donc fait des ateliers sur des sujets plus concrets et précis, basés sur un calendrier et un cadre clair.
A Grenoble, on a aussi cherché à créer un genre de RIC, de système de pétition (l’idée : 2000 grenoblois puissent soumettre une proposition/un projet et si le conseil municipal n’est pas d’accord, il doit automatiquement soumettre le projet au referendum, avec une campagne sur la proposition. Le conseil municipal s’engagerait donc en cas de “oui”, à accepter la proposition votée par les habitants. Le dispositif était ouvert aux mineurs de plus de 16 ans et aux personnes de nationalité étrangère. Le tribunal s’est servi de ce dernier argument pour invalider le dispositif. Etonnant car les budgets participatifs ont les mêmes corps électoral et n’ont pas été cassés par les tribunaux administratifs. Les budgets participatifs sont tellement nombreux en France que la force du réseau les protègent. Nous élus n’avons pas le droit de déléguer notre devoir de décision aux habitants, la loi l’interdit.
Nb : Quand on veut innover, il faut aller titiller le droit, et ça demande du temps et de l’accompagnement juridique.

Thomas Simon (Fréquence Commune) :
La démocratie prend souvent beaucoup de temps pour changer les pratiques,

nous on conseille souvent de choisir un grand projet à travailler avec les habitants pour faire une vraie participation de fond qui permette un vécu satisfaisant. Quand on veut faire de la participation sur absolument tout c’est souvent un “flop” très décevant.

A-t-on des exemples de dispositifs participatifs à l’échelle intercommunale ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
Le conseil de développement est un dispositif participatif prévu pour les intercommunalités. C’est une instance d’agora, avec des collèges qui représentent les syndicats patronaux, salariés, des associatifs, des élus. On s’en sert finalement peu car peu de moyens derrière.
Pour moi, l’échelon qui a le plus de sens est l’échelon communal car c’est l’échelon qui fait sens pour les habitants, c’est leur quotidien, leur espace vécu. Les interco ont des compétences autres que celles de proximité, qui sont très “techno” (réseaux de chauffage urbain, électricité…). Elles peuvent avoir rôle dans la coordination des communes qui peut être intéressant mais ne remplacera jamais le rôle de l’élu local qui est l’élu de la proximité. Cependant

il y a bien un moyen de faire des métropoles municipalistes : les syndicats de salariés, les mouvements sociaux. Le meilleur moyen de prendre le pouls des territoires en dehors des élus communaux et de l’habitant direct, ce sont ces organisations là qui maîtrisent des compétences économiques par exemple.

Pour l’instant c’est malheureusement très peu mobilisé.
L’interco mobilise les compétences logement, transport mais en terme de participation, ce sont des échelles difficilement mobilisables autour de la participation citoyenne.

Laurène Streiff (Occitanie) :
Je ne suis pas tout a fait d’accord avec Anne-Sophie sur le fait que la participation citoyenne ne peut être mobilisée que sur l’échelle communale, on travaille avec 5 département qui ont mis en place des budgets participatifs et ça marche très bien. Un autre exemple : le Gers a mis en place un budget participatif qui fonctionne bien. Il est aussi très important que les interco animent le réseau de leurs communes pour faire de l’échange de pratiques.

Comment arrivez-vous à faire de la participation à l’échelle de la région ? Un exemple de quelque chose qui a bien marché ?

Laurène Streiff (Occitanie) :
Belle avancée en 2018 sur la thématique de l’alimentation : de grandes consultations, cafés citoyens ont été organisés. Suivis d’une votation qui a fait remonter 4 thématiques en haut de l’agenda. Ce qui a abouti fin 2018 à une délibération autour d’un plan alimentation travaillé et co écrit avec les gens. La région a ouvert 8 sièges pour les citoyens et en 24h on a reçu 2000 candidatures donc vraie appétence. Il est certain que la région est bien trop grande pour faire de la proximité et du présentiel, on est donc en complémentarité avec les collectivités. On n’est pas du tout concurrents. On a tous le même objectif : amener les citoyens à devenir acteurs de leur territoire.

Thomas (Fréquence Commune) :

Le rôle des élus pourrait aussi être de travailler les différentes strates de l’administration (département, région, interco, communes). Ex : pour chaque euro dépensé par une mairie d’arrondissement sur le Budget participatif de Paris, la ville donne 1€ supplémentaire.

Question sur la gouvernance interne : Comment ça se passe au sein du groupe politique pour la prise de décision entre élus ? Quels modes de participation interne ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
Quand on organise une réunion de groupe on se demande toujours si c’est de l’information, du débat, de la prise de décision.

Aujourd’hui, on s’est fait accompagner par des professionnels pour nous aider à atteindre un fonctionnement de prise de décisions par consentement.
On essaye de limiter au maximum le vote et la décision majoritaire.

On fait 3 séminaires de 2 jours par an. Réunions du groupe complet de 2 heures une fois par semaine.

Pensez à bien utiliser votre droit à la formation aux élus (DIFE), en tant qu’élus de la majorité ou de la minorité.

Laurène Streiff (Occitanie) :
Il y a une grosse culture dans la région de la parole de l’élu donc les agents ont du mal à intervenir. Toute décision prise par l’administration peut être révisée par l’élu.

Comment faire participer toutes les catégories de population ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :

  • On fait de “l’aller vers” : on va a la rencontre des gens dans la rue pour faire de l’information sur les outils participatifs qu’ils peuvent mobiliser.
  • On utilise aussi le tirage au sort.
  • Les chantiers ouverts au public, ce sont des chantiers précis que les habitants nous signalent et qu’on décide de faire ensemble. Quand on est dans le “faire” et pas dans “l’agora”, on arrive à mobiliser beaucoup plus de personnes.

Thomas Simon (Fréquence Commune) :
Ça me fait penser au 50/50 de Loos-en-Gohelle. Principe : Quand la mairie n’a pas les moyens de faire une projet, elle met à disposition des habitants le matériel nécessaire au projet et les habitants viennent faire eux même les travaux. Ex : rénovation des cages de foot du stade. Ça pose cependant des questions d’assurance et de responsabilité.

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :

Un outil existe à cet effet qu’il est interessant de mobiliser : “collaborateurs occasionnel du service public” qui met un cadre sur la responsabilité sur les biens et les personnes.

On travaille beaucoup sur le droit des communs et pour cela il faut pousser le droit dans ses limites. Ex : à Bologne en Italie : charte des biens communs. Au lieu d’être des outils de démocratie participative pensés par les élus et l’administration, ce sont les habitants qui viennent solliciter la commune (bottom up).

Laurène Streiff (Occitanie) :
Le tirage au sort peut se faire sur la base des listes électorales, par quartiers. Un institut de sondage peut venir en aide pour étudier le niveau d’étude, le genre, la CSP des tirés au sort pour se caler sur des quotas et avoir une belle diversité de personnes. Souvent les tirés au sort qui ont un niveau inférieur à celui du BAC vont décliner l’invitation par manque de confiance, l’institut pourra travailler avec vous l’argumentaire pour les convaincre qu’elles ont toute leur place dans le dispositif.

Les cabinets sont-ils au service du maire ou de l’équipe municipale dans sa globalité (soutien sur les dossiers, accompagnement à la prise de fonction, lien aux services, gestion agendas…) ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
Pour nous c’est “le cabinet des élus”, pas du maire. Les membres du cabinet sont au service de l’accompagnement de chaque élu dans le sens où ils font le lien entre l’administration et les délégations. Ils sont là pour faciliter donc au final ils accompagnent tout l’exécutif. On s’efforce aussi à avoir une instance qui fait le lien entre nos co-présidents de groupe, le maire et le directeur de cabinet. Cette instance fait en sorte que ce soit fluide entre chaque groupe.

Avez-vous travaillé la question des mandats des élu.e.s avec la population en allant questionner directement les questions de démocratie représentative ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :

On met justement en place des outils de démocratie participative (pétition, votation, tirage au sort )pour contrer cette 5e république.

Tant qu’on n’a pas changé de gouvernement, c’est les moyens qu’on met en place. Et sinon, appel au réseau des communes et mouvement municipalistes : faisons du lobbying ensemble pour faire bouger les choses !

Laurène Streiff (Occitanie) :
La région est un mille feuille administratif peu connu des habitants. Ils souhaiteraient avoir un interlocuteur unique. On est sur une nécessité d’avoir une nouvelle constitution.

Face aux urgences du quotidien, avez-vous des temps spécifiques consacrés à la réflexion politique, à la vision du long terme ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :
On a du mal à trouver du temps à la réflexion politique c’est vrai. Nous a Grenoble,

on a mis en place des séminaires 3 fois par an pour avoir des temps de réflexion avec des gens de l’extérieur pour venir nous nourrir (philosophes, sociologues etc).

Par quoi démarrer le travail de construction avec la population ?

Laurène Streiff (Occitanie) :
Je rejoins Anne-Sophie sur le faire en commun. Commencer par évaluer l’existant et voir comment on peut le faire évoluer, en associant les citoyens à cette réflexion en le comptant comme usager expert.

Si tu étais maire de Grenoble, quelles seraient tes 3 premières actions ?

Anne-Sophie Olmos (Grenoble) :

  • du loobing national pour passer à une 6e république pour aller vers une république des territoires ;
  • passer le droit de vote aux habitants étrangers qui habitent ici ;
  • construire des réseaux municipalistes pour pousser plein d’expérimentations dans les territoires (à ce sujet, conseil de lecture : article de Guillaume Gourgues Les municipalistes rêvent-ils de Métropole ?) ;
  • casser les silos administratifs pour être plus agiles ;
  • les citoyens décident des compétences de leurs représentants ;
  • aller vers une démocratie au commun ;
  • passer de l’ ”agora” au “faire” ;
  • passer au modèle coopératif (scoop, coopératives etc).

Si tu étais présidente de région, quelles seraient tes 3 premières actions ?

Laurène Streiff (Occitanie) :

  • avoir des référents démocratie participative dans tous les services ;
  • aller former les agents ;
  • intégrer les usagers et citoyens dans une meilleur connaissance de ce que fait la collectivité ;
  • engager les gens à faire à leur niveau.

Pour voir la vidéo intégrale : https://www.facebook.com/watch/?v=3042059745922931&extid=SF1mCAglBQguE5qq

Article rédigé par Ondine Baudon.