Pourquoi et comment créer des commissions extra-municipales ?
6 janvier 2021
Lors de ce Lundis en Commun, organisé par Fréquence Commune en partenariat avec le Collectif pour la Transition Citoyenne, 150 élu·e·s et habitant·e·s étaient présents pour partager leurs expériences autour de la mise en place de commissions extra-municipales dans leur commune.
Qu’est-ce qu’une commission extra-municipale ?
Les commissions extra-municipales ont pour objectif d’associer les citoyen·ne·s à la réflexion sur les grands thèmes de la vie communale. Elles leur permettent de s’informer sur les affaires de la commune, d’entretenir le dialogue avec leurs élu·e·s, de faire des propositions et d’émettre des avis sur les affaires communales.
Les intervenant·e·s :
Geneviève Brichet membre du Mouvement Utopia et actrice du CTC
Marie Seiller membre du CTC et du PACTE pour la transition
Jo Spiegel ex-maire de Kingersheim (13 000 habitant.e.s)
Vincent Beillard ex-maire de Saillans (1 200 habitant.e.s)
Solenne Boiziau du Mouvement Utopia et de Commonspolis
Tristan Rechid fondateur de l’expérience de Saillans, animateur et accompagnateur sur les questions de démocratie locale.
Présentation de la proposition 29 du Pacte, création de commissions extra-municipales du temps long, Marie Seiller du CTC
Quelle est la mesure 29 que portent le Pacte et le CTC ?
Le collectif CTC réuni 30 organisations impliquées sur des sujets de transition (Enercoop, Alternatiba, mouvement Utopia etc). On porte plusieurs projets, dont le Pacte pour la transition qui est un outil de mobilisation et de plaidoyer citoyen. Le Pacte c’est une soixantaine de partenaires qui produisent des ressources et outils pour aboutir à la proposition de 32 mesures écologiques, sociales et démocratiques à mettre en œuvre à l’échelle locale (communes et interco). Lancé en juin 2019, le Pacte a été dans un premier temps utilisé pour obtenir des engagements ambitieux par des listes candidates aux municipales de 2020 en leur faisant signer un minimum de 10 mesures.
Aujourd’hui, c’est donc une phase de mise en œuvre de ces mesures signées qui commence avec un suivi des engagements pris par ces nouveaux élus aujourd’hui en fonction.
Parmi la mise en place de ces mesures il y a la mesure 29 du Pacte qui propose la mise en place de commissions extra-municipales du temps long.
Ces commissions sont composées de citoyen·ne·s, de représentant·e·s de secteurs associatifs, économiques et d’élu·e·s. Elles ont pour mandat d’examiner la conformité des grands projets de la commune vis à vis des enjeux écologiques, sociaux et démocratiques de moyens et longs termes.
Pour en savoir plus sur l’application concrète de ces mesures sur le terrain : Cf interview Geneviève plus bas.
Les commissions extra-municipales selon Jo Spiegel, ancien maire de Kingersheim
Jo Spiegel : Le terme de “commission extra-municipales” me gêne car une démocratie n’est pas « extra », « en dehors », elle doit être intégrée au cœur du fonctionnement de la commune. Il est primordial de mettre ces commissions au cœur des processus de décision.
“Attention à ne pas utiliser les commissions extra-municipales comme des gadgets.”
En ce sens, un changement radical du rôle de l’élu est indispensable : il ne sera plus le décideur administratif : il sera l’animateur d’un territoire, d’un processus de décision, l’activateur du pouvoir d’agir des citoyens.
Il n’y a pas de transition écologique sans transition démocratique. Les territoires sont des lieux d’excellence pour croiser et mettre en action l’intelligence de tous les acteurs de la transition écologique : les habitants, les élus, les experts, les organisations syndicales, les associations, les entreprises. Le pays doit apprendre à se parler dans les territoires.
Par exemple, à l’agglomération, on a activé le plan climat énergie territoriale par la démocratie, en intégrant toutes les ressources de sens, d’intelligence, d’expertise, d’engagement au cœur du processus de transformation. A l’issue de 12 ans on a réussi à réduire de 36% la production de gaz à effet de serre, de 17% la consommation d’énergie et d’augmenter de 21% les énergies renouvelables.
Au cœur de ce processus il y a un conseil participatif qui constitue la pierre angulaire de chaque séquence démocratique. Ce conseil participatif n’est pas seulement une commission extra-municipale, ni une commission municipale, ni une convention citoyenne, ni un conseil citoyen mais tout cela en même temps.
Un conseil participatif se compose de toutes les ressources de notre société :
- un collège d’habitant·e·s tiré·e·s au sort ;
- un collège d’élu·e·s ;
- un collège d’expert·e·s ;
- et un collège qui représente les organisations syndicales, associatives, entrepreneuriales.
« Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts et qui se fixe comme modalité d’analyser ces contradictions à part égales, de délibérer pour arriver à une décision éclairée de ces différents points de vues. » Paul Ricœur.
Le conseil participatif affirme cette composition hybride.
Il est important que ces instances participatives cumulent la mesure 28 et la mesure 29 du Pacte.
- la mesure 28 invite à la co-construction du conseil participatif ;
- la mesure 29 informe que le conseil participatif doit être une assemblée du temps long. On y fixe à des dates buttoirs des objectifs de plus en plus ambitieux.
Les conseils participatifs ne se limitent pas à un rôle de veille ou de contrôle. Ils sont à la fois le catalyseur et le garant du plan climat et énergies territoriales.
“L’enjeu démocratique est de mettre une démocratie de représentation au service d’une démocratie vivante qui décide.”
Pour qu’une instance démocratique soit décisive, il faut :
- Que l’instance s’inscrive dans un enjeu global afin de discerner l’essentiel. Par exemple pour la transition écologique : comment lutter contre le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité là, ici et maintenant, comment mobiliser le territoire dans toutes ses composantes pour être au rendez-vous digne des générations futures.
- Que les élus du territoire adoptent un minimum de positions :
– Affirmer le primat du sens au début de chaque séquence : l’horizon n’est pas l’agenda électoral mais bien le temps long des transformations personnelles et collectives pour honorer nos responsabilités vis à vis du climat. Pour cela, affirmer des étapes à franchir ;
– Avoir l’approche systémique de l’agenda 21 ;
– L’échelle de l’intercommunalité est très importante car c’est l’échelle du territoire vécu (déchets, habitat, aménagement du territoire, mobilité etc). « Je fais, tu fais, nous faisons » : qui de l’agglo, qui de la commune, qui des entreprises, qui des citoyens. Il n’y a pas de pacte écologique réussi sans un pacte civique qu’on élabore ensemble sur le territoire.
– Il faut que cette instance s’inscrive dans une volonté politique sans faille pour ne pas qu’elle soit un gadget, un pot de peinture ou un simple slogan. L’instance participative ne peut être qu’un élément annexe. Il faut qu’en amont d’une instance démocratique il y ait une réelle volonté d’écoute et de respect des dynamiques de l’aval qui sont l’engagement citoyen. Les élus doivent considérer comme décisif ce que propose l’instance participative.
– Créer une vraie culture climatique : le projet ne doit pas être qu’une administration, il faut l’animer, lui donner du sens, une âme, mobiliser les habitants pour éviter que le plan climat soit une cerise sur le gâteau alors qu’il faut qu’il soit la pâte du gâteau avec la mobilisation de la démocratie au cœur de ces processus.
Jo Spiegel, pour résumer :
- Attention à ne pas créer des gadgets : une commission extra-municipale (ou conseil participatif) doit être placée au cœur d’un dispositif pour être réellement décisive ;
- Créer cette vitalité démocratique s’inscrit dans le temps long, au delà du mandat ;
- Le rôle des élus et les interactions avec les acteurs du territoire sont à redéfinir ;
- Le lien et la répartition des responsabilités entre interco-communes-habitants est très important ,
- La commission extra-municipale doit servir à relier les politiques publiques, relier le global au local, relier citoyens aux élus, les acteurs économiques aux acteurs sociaux et aux acteurs de l’environnement.
- Elle est l’indicateur d’une vitalité démocratique exigeante, interactive, édifiante et en capacité à passer du « je » responsable vers le « nous » collectif pour préparer la planète de demain.
Question de Tristan Rechid à Jo Spiegel
Comment fais-tu pour que les commissions extra-municipales donnent aux gens un réel pouvoir de décision et ne soient pas de simples instances de consultation gadgets ?
Jo Spiegel : Il s’agit de dépasser les limites de la démocratie participative : il faut faire en sorte qu’il y ait un continuum démocratique entre les travaux du conseil participatif et la décision des élus. Dans le conseil participatif, les élus ne doivent pas avoir plus de voix que les habitants, les experts et les organisations. Il est cependant essentiel qu’ils y soient présents pour qu’il y ait une vraie interactivité et pour qu’ils consentent à adopter la décision finale. Dès lors qu’on hybride les compétences, les statuts, les savoirs et les convictions, ce conseil participatif a une réelle légitimité de proposer des choses qui doivent être décidées. Le rôle de l’élu n’a de sens que s’il représente vraiment les habitants, les organisation, les experts etc. Il doit toujours y avoir cette volonté que le conseil participatif précède, alimente et donne le sens à la décision politique.
A Kingersheim, en 2019, on a lancé une réunion publique qui a réuni 500 personnes au cours de laquelle on a créé un conseil participatif de 120 personnes : 60 habitants, 20 élus, 20 experts, 20 représentants d’organisations. La commande qui leur a été faite : décidez les 15 ambitions pour 2030 ainsi que le cahier des charges pour un fond climat qui permet l’investissement de chacun (qui fait quoi : citoyens, organisations, associations).
On l’a fait sur 40 projets différents. Les représentants des conseils participatifs sont venus préconiser devant l’assemblée communautaire le plan climat qui a été ensuite adopté à l’unanimité par le conseil d’agglomération de la ville.
Question de Solenne Boiziau à Jo Spiegel
Comment articuler au mieux l’échelon communal (qui reste plus proche des habitants pour s’engager) à l’échelon intercommunal (où les habitants sont culturellement moins proches) ?
Jo Spiegel : Ça n’est pas une option mais une obligation ! Il faut que les intercommunalités deviennent des instances de coopération démocratiques. Pour l’instant elles ne le sont pas. Je ne suis pas du tout d’accord pour dire que la commune est le seul échelon de proximité. L’interco, si elle met en place ces coopération démocratiques, se retrouvera proche des habitants. Ce qui est important c’est la complémentarité des compétences. Dans le cadre d’un projet du territoire et d’une vision consolidée, les interco doivent assumer leurs compétences dans la transformation climatique, au même titre que les communes doivent assumer les leurs (ex : l’éclairage public). Chacun prend sa part. Il n’y a donc pas a opposer commune et interco, au contraire, il faut considérer ces deux espaces comme complémentaires.
“Chez nous, quand on a lancé le plan climat, il y a même eu une émulation sur qui allait le plus loin dans le zéro phyto sanitaire. Toutes les communes se sont battues pour être les meilleures sur ces changements.”
Questions des participants à Jo Spiegel
Existe-t-il un législation protégeant les projets de long terme imposant au futur maire, au delà du mandat de 6 ans, la réalisation des projets ?
Jo Spiegel : Non, il n’y a pas de législation. On se base plus sur la volonté des hommes d’être dans un horizon plus ambitieux que de réparer les trottoirs. Il faut sortir de l’élu comptable, bâtisseur des temps modernes, il faut plus d’humilité dans le rapport au pouvoir.
Cependant, dans une séquence démocratique au long court, en particulier sur le climat, à chaque fois qu’on lance une réunion publique pour lancer une nouvelle étape encore plus ambitieuse pour le climat, c’est une vraie institution de ces engagements qui se fait, c’est maladroit politiquement pour un élu qui viendrait pour un nouveau mandat d’ignorer tout ce travail.
Comment sont choisis les participants au conseil participatif ? Et les experts ? Sont-ils indemnisés ?
Jo Spiegel : A l’issue de ces réunions publiques (qui doivent donner du sens et mobiliser les envies), on constitue avec les habitants la composition du conseil participatif.
- Pour le collège des habitants : La dernière fois, à Kingersheim il y a eu 50 habitants volontaires pour faire partie de ce conseil participatif. Pour éviter que ce soient toujours les même (retraités, CSP +) et pour éviter que la transition écologique ne soit qu’une affaire de « bobos » on fait un tirage au sort pour diversifier et enrichir la représentativité des habitants.
- Pour le collège des élus c’est un appel à candidature au sein de la communauté d’agglomération en incluant élus de la majorité comme élus de la minorité.
- Pour le collège des experts on réfléchi à quel type d’expertise on a besoin (pour le dernier conseil participatif c’est 20 experts différents (internes (de l’état) et externes (agences d’urbanisme, etc))
- Pour le collège des associations : appel à candidature (asso de vélo pour la mobilité, les syndicats etc).
Il y a bien sur des règles de participation qui encadrent ces conseils sur les façons de débattre, de travailler en atelier etc.
En ce qui concerne l’indemnité, je pense qu’il faut qu’on ait du temps libre et rémunéré pour que les gens puissent participer. Sans ça c’est toujours les couches les plus aisées ou les retraités qui participant à ces instances. C’est une question d’urgence, il faut que les ouvriers ou CSP- puissent participer. À Kingersheim on considère de ce côté là que c’est un échec car il y a bel et bien des gens exclus des dispositifs. Nous sommes dans un système global qui exclue la participation de ces classes sociales. Les gens qui ont des fins de mois difficiles ont du mal à participer au bien commun.
Pour le moment, chez nous, à défaut de pouvoir financer cette participation, on se paie des soirées où on mange tous ensemble. L’intérêt c’est que ça créé de la convivialité, ça délie les langues et ça permet aux gens de se rendre compte qu’il font partie d’une communauté de destin et d’agir.
“Il ne faut pas se polariser sur le périmètre de l’état ou du législatif car si on s’attarde à ça on ne fera jamais rien. Tout en gardant une certaine forme de légalité, il faut inventer des choses qui ne sont pas condamnables. Je n’ai jamais vu le préfet me poser une critique sur ce qu’on a mis en place et qui pourtant est hors pratiques classiques.”
Comment fait-on pour que les tirés au sort acceptent de participer ?
Jo Spiegel : Globalement à Kingersheim c’est 1 personne sur 6 qui accepte (causes des refus : manque de temps, autocensure démocratique (beaucoup de gens qui pensent que le vote tous les 6 ans est l’alfa et l’oméga de la démocratie). Pour encourager et respecter l’engagement des habitants, il est important de certifier que ce que le conseil participatif va avoir un réel impact sur les décisions du territoire.
Comment sont engagés les agents territoriaux dans ces projets ?
Jo Spiegel : Dans ces processus démocratiques, on considère les agents et les collaborateurs territoriaux comme des experts de leur domaine. La démocratie n’appartient pas qu’aux citoyens, elle est le fruit de toutes les ressources de sens et notamment du respect des experts qui sont à nos côtés. Cette valorisation fait qu’ils ont tendance à s’engager par eux même dans les projets.
Qui anime les conseil participatifs ?
Jo Spiegel : Bien évidement l’animation de ces conseils participatifs se préparent, ça ne s’improvise pas. Bien souvent les élus ne s’inscrivent pas dans un processus démocratique parce qu’ils ne savent pas les concevoir et les animer. Ceci dit, les élus portent la volonté politique de ces conseils participatifs mais ils doivent prendre la distance et ne pas être à l’animation car ils influenceraient les débats. Il faut donc désigner des personnes pour se former et animer ces temps.
Comment traiter les sujets particulièrement difficiles ? (ex : chez nous, la montée de la mer attaque la dune et c’est un sujet clivant entre bettoneurs et partisans de la relocalisation)
Jo Spiegel : Il faut se dire : « puisque c’est un projet qui pose problème, mettons-le sur la table, mettons-le au débat public ». Le politique doit identifier la difficulté, poser la problématique avec les conflits d’intérêts différents, ouvrir une séquence démocratique, inviter tous les concernés et ouvrir un conseil participatif avec un débouché à la fin. Le conflit devient alors constructif pour co-construire une solution.
“Le rôle d’une assemblée ce n’est pas de mettre tout le monde d’accord, c’est d’entendre les points de vues différents et de prendre une décision éclairée par ces différents points de vue.” Tristan Rechid
“On est dans un pays où on se plait à s’opposer les uns aux autres. Quand on est dans une démarche de démocratie de construction, on relie. Le discours du tout citoyen débouche sur du populisme. Le tout élu débouche sur de l’autocratie. Le tout expert débouche sur de la technocratie. Le tout organisation débouche sur le corporatisme. Ce sont autant de maladies infantiles de la démocratie. Si on veut en sortir il faut mettre les gens autour de la table avec beaucoup d’humilité et beaucoup d’écoute.” Jo Spiegel
Les 9 questions à se poser avant de créer une commission extra-municipale, par Geneviève Brichet
Geneviève Brichet est une habitante de Lyon depuis 37 ans. Elle fais partie du groupe local du CTC et plus précisément du projet Pacte pour la transition.
Je travaille avec des habitants et avec l’adjointe à la démocratie de Lyon pour mettre en place une commission extra-municipale (mesure 29 du Pacte).
Voici les 10 questions que les élus nous ont posé sur la commission extra-municipale :
- Quelles instances territoriales sont concernées ?
- Quelles seront les objectifs et les sujets de cette commission ?
- Quelle sera la durée à cette commission ? Si elle est sur le temps long c’est au moins 10 ans et juridiquement parlant, on ne peut pas garantir par une loi qu’elle dure au delà du mandat mais ça peut être inscrit dans la charte.
- Quelles étapes concrètes doivent être programmées ?
- Quel fonctionnement et quelles actions ? On a demandé à ce que la commission extra municipale puisse intervenir dans les conseils municipaux, voir avoir un droit de véto sur les décisions qui seraient contraires aux décisions de la commission.
- Quel nombre de participants dans cette commission ?
- Comment choisir les participants habitants ?
- Quelle récurrence ?
- Qu‘est-ce qu’on écrit dans le document fondateur (type charte) pour expliciter le fonctionnement de la commission extra-municipale ?
Nous nous sommes mis autour de la table avec les élus pour élaborer un cadre avec un processus démocratique précis de bout en bout.
Questions des participants à Geneviève Brichet
En quoi ces instances participatives viennent impacter le fonctionnement actuel de la municipalité de Lyon ? Quel gage avez-vous ? Comment sont saisis les sujets ? Sont-ils saisis sans filtre ?
Par exemple le grand débat national était en soi une bonne idée, mais on ne savait pas à quoi allait servir finalement les conclusions, idem pour la convention citoyenne pour le climat. S’il n’y a pas d’engagement des élus en amont, on peut être dubitatif sur les processus qu’on nous propose.
Geneviève : Effectivement, quand je parlais de commission extra-municipale décisionnaire, elle ne sera pas décisionnaire. C’est bien le conseil municipal qui décidera in fine. Cependant, on aura construit une décision par consentement avec une majorité d’élus qui font eux-mêmes partie de la commission. Cette proposition sur laquelle tout le monde est d’accord, y compris les élus, sera présentée au conseil municipal. Ce serait donc étonnant que les élus qui font partie de cette commission et qui ont voté favorable à la proposition, la rejettent en conseil municipal.
Il faut vraiment veiller à monter des processus qui aient une réelle capacité décisionnaire. Trop souvent on a vu de la participation qui débouche sur un refus ou une modification tranchée par les élus en bout de processus. Ça créé énormément de déception chez les habitants.
Quels sont les leviers pour convaincre de faire accepter le projet d’une commission extra-municipale en tant qu’habitant ou en tant qu’élu de l’opposition?
Geneviève : Je pense qu’à Lyon on est dans une situation privilégiée car les élus étaient déjà intéressés et avaient une réelle volonté de mettre ce genre de choses en place.
Si les élus ne sont pas réceptifs, il y a plein d’autres modes d’action autres que les commissions extra-municipales : ouvrir des lieux qui permettent aux gens de se retrouver pour parler de démocratie et faire des projets ensemble, faire des gazettes, animer des évènements, assister au conseil municipal, monter des assemblées de quartier etc.
Les commissions extra-municipales selon Vincent Beillard, ancien maire de Saillans
Nous n’avons pas utilisé ce terme de commission extra-municipale à Saillans quand nous avons élaboré notre schéma de participation.
En revanche, on a fait plusieurs choses qui s’y apparentes :
- des commissions thématiques annuelles qui avaient lieu lors des vœux de la municipalité pour faire un bilan des prospectives et prioriser avec les habitants les projets à venir. Ces commissions étaient en fonction des compétences de la commune car nous n’avions pas comme Jo Spiegel ce lien avec l’interco.
- des groupes action-projet : qui permettaient la mise en œuvre des sujets décidés en commissions thématiques annuelles. Les Groupes Action Projet marchaient très bien. Deux élus référents soutenaient ces groupes de participation avec les habitants (organisation, information, comptes rendus, gestion du matériel etc). Un compte rendu était systématiquement rendu public et les participants pouvaient ensuite l’annoter, le corriger et le valider.
- La révision du Plan Local d’Urbanisme dans notre village (sujet plus complexe que les deux précédents). On a tiré au sort des habitants dans tous les secteurs du village + parité homme/femme). Engagement fort car ces habitants devaient être présents pour 2h de réunions, une fois par mois pendant 2 ans.
Cette expérience a révélé une montée en compétences des citoyens et une envie d’avoir de la transversalité dans les différentes thématiques et projets, une envie de travailler sur une vision politique. On a donc fait des assemblées de village tous les deux ans afin de définir cette vision politique avec les habitants et d’arbitrer sur les priorités du village.
Sur la prise de décision : co-décision lors du comité de pilotage tous les jeudis soir à 20h (l’ODJ était publié le lundi). Cette réunion, qui d’habitude se fait en huis clos, était publique à Saillans où on travaillait l’ensemble des projets avec les groupes action projet. le conseil municipal était pour nous une instance très classique et délibérative où on passait les délibérations les unes après les autres.
“Le comité de pilotage, sorte de commission extra -municipale”, était donc un conseil municipal “non légal” qui permettait aux élus et habitants de valider et d’arbitrer les projets. Ensuite il y avait la forme délibérative et juridique sous forme du conseil municipal. Les décisions n’étaient donc pas prises au conseil municipal.”
Question des participants
On aborde beaucoup les questions environnementales mais quid de la question sociale ? Du logement ? Avez vous des exemples de fonctionnements participatifs sur les questions sociales ?
Vincent : C’est au contraire une thématique qu’on a beaucoup travaillé sur différentes facettes par exemple sur l’accueil des migrants. Les citoyens mobilisés sur la question se sont réuni et nous, élus, étions là pour animer et coordonner. Un groupe action projet est né de ce groupe.
Sur le logement social on a travaillé sur la révision du PLU avec 12 citoyens tirés au sort + 4 élus (nous étions donc minoritaires). Ils étaient chargés de récolter la matière des ateliers et amener ça en atelier avec les urbanistes puis arbitrer. Il y a eu de grandes avancées mais aussi des déboires : on a abordé la question de l’habitat léger et mobile chez nous et ça a clivé. C’est en partie pour cela qu’on n’est plus à la maire aujourd’hui. Tant nous n’étions pas dans la stratégie, nous étions spontanés, dans l’action.
Bruno Cristofoli, adjoint à la démocratie locale de Saint-Médard-en-Jalles
L’équipe de la mairie de Saint-Médard-en-Jalles monte une commission extra-municipale, Bruno raconte :
On souhaite mettre en place des conseils de territoire et de diversité de la population (ex : conseils de jeunes). On tirera au sort deux personnes dans chaque conseil chaque année pour former une commission extra-municipale. L’idée : avoir en face du conseil municipal une commission qui puisse en être le pendant.
Cette commission aura 3 rôles :
- examiner toutes les délibérations pour qu’elle puisse donner un avis et pouvoir interpeller le conseil municipal sur n’importe quelle délibération
- être un acteur majeur du suivi du Pacte pour la transition qu’on a signé en tant que conseil municipal
- décider les projets qu’on va faire chaque année dans la ville. Comment ? : cette commission extra-municipale se réunira 3 fois par ans avec 7 élus qui vont tourner tout au long du mandat pour que chaque élu y passe une fois. L’idée est d’aller vers un budget 100% participatif. L’idéal est que tous les projets pour la ville soient décidés par cette commission extra-municipale composée d’habitants et d’élus.
Le mot de la fin :
Vincent : Pour ce mandat, nous avons perdu, face à des élus qui sont revenu à des méthodes « à l’ancienne ». On constate de plus en plus que finalement ça n’est pas facile pour eux de revenir à de vielles façons de faire car beaucoup d’habitants sont mobilisés et se sont engagés sur des thématiques diverses dans le village au cours de ces 6 dernières années. On a engagé un mouvement dans le village et dans la vallée qui fait que le retour en arrière est très difficile. Ceux qui sont à l’œuvre dans le village pour de la solidarité, du vivre ensemble, de la cohésion et transition énergétique sont finalement ceux qui sont au cœur de la vie du village. Les nouveaux élus qui eux étaient plutôt à l’écart de la vie du village se retrouvent face à des forces de proposition fortes. Nous continuons d’agir avec force, bienveillance et persévérance. Il faut continuer d’oser, d’innover et d’inventer.
Geneviève : Notre objectif vis à vis des élus : leur faire prendre conscience que les habitants peuvent leur apporter quelque chose d’utile et qui ait du sens. Les habitants ne vont pas faire à leur place mais avec eux : en coopération.
Notre objectif vis à vis des habitants : on est condamnés à réussir pour prouver que la démocratie participative fonctionne. Si ce message passe auprès des habitants, on aura des commissions extra municipales renouvelées, vivantes et investies par de nouvelles personnes.
Jo Siegel disait qu’il lui avait été difficile de convaincre plus de 15% de la population à participer, je pense qu’on peut dépasser ce pourcentage en faisant un success story de ces commissions extra municipales.
Solenne : Le partage de toutes ces expériences est très fertile ! On constate qu’il n’y a pas de transition écologique sans transition démocratique. Un changement culturel se fait ressentir sur le rôle des élus et des habitants !
Tristan : La démocratie c’est un peu comme la quête du graal : je ne suis pas sur que ça existe. C’est une expérimentation perpétuelle. Il ne faut pas chercher d’arrivée à cette histoire : il n’y en a pas. Tout cela est de l’expérimentation. il n’y a pas de modèle vrai, chaque contexte a ses caractéristiques propres. Dans la sociocratie il y a cette recherche systématique entre l’horizontalité et la verticalité. Un modèle où tout le monde décide de tout tout le temps n’est pas un modèle démocratique : c’est plutôt une définition du bordel. Opposer démocratie directe et démocratie représentative est une fausse question. C’est évidement un mélange des deux. Il faut de la verticalité, de l’expertise, et ouvrir tout ça aux habitants, aux savoirs d’usage. Une assemblée n’est pas là pour se mettre d’accord mais pour arbitrer sur la base des points de vue différents. Une démocratie est une démocratie où il y a du conflit car on invite sur chacun des sujets des gens qui ne pensent pas pareil. C’est ce chemin là et l’arbitrage qui en découle qui pour moi fait acte de démocratie.
Marie : Les instances qu’on imagine ne doivent pas avoir de statut figé. Geneviève nous a remonté toutes les questions du collectif de Lyon, ils n’ont pas toutes les réponses et toutes les réponses ne doivent pas être forcément données maintenant. Il faut expérimenter ce qui va marcher ou non. Il ne s’agit pas de créer quelque chose de parfait, mais d’aller vers. La convivialité est importante dans ces processus.
Thomas : Quelques chiffres : aux élections municipales, 400 listes ont été cartographiées par l’association Action Commune. 12 000 candidats et 25 000 sympathisants ont travaillé cette question de la démocratie et sont allé jusqu’à présenter des listes pour mettre tout ça en application. 1 200 élus ont gagné et sont aujourd’hui élus de la majorité, 680 sont à la minorité et des milliers de personnes impliquées dans les collectifs sur ces questions de transformation démocratique au service de l’écologie et de la justice sociale.
Merci à tous pour toutes les expérimentations que vous faites sur le terrain qui contribuent à faire vivre la démocratie !
Article rédigé par Ondine Baudon.
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